Septembre 2022.

Si l’année dernière et l’autre avant n’ont pas été de tout repos, 2022 ne m’a pas non plus épargnée. Elle a commencé sur un événement qu’aujourd’hui j’aurais voulu ne pas avoir vécu : j’ai rencontré mon père biologique. Oh, lui et moi on s’entendait bien et c’était cool. Il était aussi le seul à vraiment pouvoir comprendre l’injustice qu’on peut vivre en tant que personne de couleur, mais je ne pourrai jamais comprendre par contre l’horreur qu’il a commise. J’aurais voulu ne pas le rencontrer pour ne pas avoir à apprendre que mon géniteur était un psychopathe. Mais si ce n’était pas assez, il a fallu que je sois agressée également, de quoi me ramener plus bas que terre, surtout avec l’arrestation de Michael qui a eu lieue juste après. C’est un miracle que je tienne encore debout.

Où en est-ce vraiment un ?

Jeremy Baker, mon meilleur ami, mon roc. Certes, je suis entourée de personnes qui m’aiment, mais c’est surtout lui qui a réussi à me garder la tête hors de l’eau. Au fond, je pourrais peut-être même dire que c’est un peu grâce à lui que j’ai reprit ma vie en main, ne serait-ce que pour réaliser notre rêve de partir en voyage ensemble. Je sais qu’il est occupé, mais bien qu’il n’eût pas à en faire autant, je sais qu’il s’est donné corps et âme pour jongler entre ses deux emplois et moi. Et ça, je ne l’oublierai jamais.

J’ai repris l’université et même l’entraînement – je suis à nouveau des cours de self-defense avec Warren – et je sors même un peu à nouveau. Mais si je vais mieux, il y a pourtant une chose qui n’a pas changé : je bois toujours. Certes, j’ai moins le temps de boire puisque j’ai un emploi du temps plus chargé, mais même si c’est une gorgée entre deux cours, ou un verre avant ou après l’entraînement, ça me fait du bien. Pourquoi ? Je l’ignore. J’ai toujours cette impression que quelque chose doit rester endormie en moi. J’ai beau avoir reprit ma vie en main, ça ne veut pas dire que je ne souffre plus. Le temps fait son travail, mais pas aussi vite, et surtout pas avec moi.

Du coup, aujourd’hui c’est samedi. J’ai déjà bu quelques verres à la maison, mais rien de trop fort qui me fasse perdre la tête ou l’équilibre. J’ai prévu le coup. Je veux être capable de me rendre au Rising Sun pour aller accompagner mon meilleur ami au bar pendant qu’il travaille. Du coup, je me suis préparée. Mes cheveux sont parfaitement vagués grâce au fer que j’ai passé dedans, je suis maquillée. Je porte des bijoux et des vêtements serrés mais pas trop, de quoi être jolie mais pas au point d’envoyer le message que je cherche un mec avec qui passer la nuit. Non, ce soir je suis avec Jeremy, et personne d’autre.

Du moins c’est ce que je pensais.

J’arrive au bar de bonne humeur. Je me sens légère, merci l’alcool que j’ai bu dans la journée parce que je n’avais rien à faire. Il y a encore peu de temps, je ne me donnais plus la peine de soigner mon apparence pour faire quoi que ce soit. Mais ce que j’ai oublié, ou ce à quoi je n’ai pas pensé, c’est que je sens un peu l’alcool. Je vais donc m’asseoir au bar et sourit à mon meilleur ami. Je suis contente de le voir. Je suis toujours heureuse de le voir. « Salut ! Ça faisait un moment que je t’avais vu dans ton uniforme. Ça m’avait manqué tiens. » Évidemment, je n’en ai rien à faire qu’il soit en uniforme ou pas. Pour moi, il reste le même. Mais j’aurais dû voir qu’il n’allait pas bien. J’aurais dû le remarquer et pourtant non, aveuglée par ma propre bonne humeur… ou par la boisson.

Ça faisait longtemps. Ça faisait longtemps que je n’étais pas venue ici, par simple peur de sortir le soir, même si généralement je viens quand Jeremy est là et qu’il s’est toujours assuré que je rentre bien à la maison. Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas fait belle, ou présentable même, que je n’avais pas prit soin de mon apparence comme aujourd’hui. Ça faisait longtemps que je n’avais pas vu mon meilleur ami dans son uniforme de travail. Ça aussi ça fait plaisir à revoir. C’est dingue cette impression d’être passée à côté de tant de choses, et pourtant, quand je regarde autour, rien n'a vraiment changé. Le monde a continué de tourner, mais tout est pareil.

Jeremy se penche pour poser un baiser sur la joue et je m’étire pour lui en faire un aussi. Personne ici ne croit sans doute que nous ne sommes que de bons amis, les meilleurs amis. Je suis persuadée qu’on lui a souvent demandé si nous étions ensemble, ou même si nous ne l’étions plus puisque je ne venais plus vraiment. Mais au moins je n’ai plus l’inquiétude que quelqu’un aille se plaindre à son patron, puisque maintenant je sais que le patron est le petit ami de Laura. S’il a un problème, j’ai confiance qu’il m’en parlera directement.

Mais peut-être que j’ai tort, au fond.

Je dis à Jeremy qu’il m’a manqué et il me répond que je lui ai manqué aussi. Son sourire est doux et je lui en envoie un à mon tour. Je remarque également qu’il commence à me préparer un cocktail, mais je ne fais pas trop attention aux ingrédients. En général, il sait ce que j’aime : les cocktails préparés par lui. Ils sont toujours meilleurs que ceux préparés par les autres, j’ignore pourquoi. Enfin, je lui souris un peu plus et m’appuie sur le comptoir une fois assise sur un siège. « Je suis contente de te voir aussi. J’avais hâte de venir. Ça me manquait les soirées à te voir agiter ton shaker comme ça. » Je rigole à ma blague. Évidemment, je m’en fous du shaker. C’est lui qui m’a manqué, tout simplement.

C’est maintenant que je remarque ses traits tirés. « Le travail ne t’épargne pas à ce que je vois. T’es certain d’avoir besoin de tes deux boulots ? » J’avoue, il m’inquiète un peu. Il travaille tellement qu’il va finir par faire un burn-out. Il devrait ralentir un peu. Le verre posé devant moi, je prends une première gorgée dans l’attente de sa réponse, regardant mon verre ensuite. Ça ne goûte absolument pas l’alcool ça… En fait… Je relève les yeux et prend une autre gorgée pour être certaine. Je me dis que ça ne se peut pas que Jeremy m’ait fait un coup pareil après tout. Mais la deuxième gorgée est toute aussi… fruitée que la première. Il n’y a pas une seule goutte d’alcool dans ce verre.

« Tu m’as servi un verre de jus ? » Sur le coup, je crois que c’est une plaisanterie. Je regarde Jeremy en posant ma question, un léger sourire aux lèvres, mais tout de même l’air interrogée. Certainement, il me joue un mauvais tour. N’est-ce pas ? J’affiche un sourire, mais au fond je ne trouve pas ça drôle. Je deviens même irrationnelle dans ma façon de réfléchir. Je ressens de la trahison. Si je n’avais pas déjà bu, je serais capable de me dire que c’est complètement stupide de me sentir trahie pour ça, mais j’en suis incapable pour le moment.

Et ça n’augure rien de bon.

Il est fait plus costaud qu’il en a l’air, dit-il. Je n’en doute pas. Je sais qu’il est fort, mais je sais aussi qu’il est épuisé et si quelqu’un peut bien savoir ce qu’est l’épuisement, c’est bien moi. Et puis rien ne pourra me rassurer tant qu’il ne sera pas reposé. Surtout quand il ajoute que c’est trois boulots qu’il a maintenant. « Oui… Bah ça me rassure pas pour autant. Va falloir freiner. Attends pas que je parle à ton patron. Parce que tu sais que je vais le faire s’il le faut. » Évidemment, je dis ça avec le sourire, mais non sans avoir un brin de fermeté dans la voix. Je cherche juste à prendre soin de lui moi.

Et alors je goute à son cocktail, ou plutôt le verre de jus. Je lui demande d’ailleurs s’il m’a servi un verre de jus. Certes, ça s’appelle toujours un cocktail malgré le manque d’alcool, mais mon cerveau n’assimile pas ça. Il assimile seulement le manque d’alcool dans ce mélange. Jeremy me confirme d’ailleurs qu’il s’agit d’un cocktail « virgin » et je hausse un sourcil. « Si, c’est délicieux, mais ce serait meilleur avec du rhum ou de la vodka dedans. » Je ne me gêne pas trop. Je ne me suis jamais gênée pour donner une opinion honnête sur les cocktails qu’il m’a concocté depuis qu’on se connait. Mais là je me sens surtout irritée bien que j’essaie de ne pas l’être. Je ne comprends pas trop ce qui lui est passé par la tête…

Du moins jusqu’à ce qu’il me fasse cette annonce.

Fatalement, ça devait arriver un jour qu’on me refuse de l’alcool. Mais je suis incapable de réfléchir rationnellement en ce moment. Non, je me sens trahie en fait, par celui qui n’aurait jamais dû me trahir. Plus d’alcool ? Sérieusement ? Ça se voit très bien que je suis irritée face à cette annonce. « Et je peux savoir pourquoi soudainement ? » Après tout, j’avais prévu de boire moi. J’aurais bu davantage dans la journée sinon, j’aurais prévu le coup. Et puisque la réalité me frappe en plein visage, je commence à me sentir mal. J’ai l’impression qu’on m’écrase la poitrine. Je me sens paniquer. Oui, ces émotions sont bien réelles, mais je ne suis pourtant pas capable d’y réfléchir rationnellement. « Et je fais comment si j’ai envie d’avoir de l’alcool ? Je demande à Jenny ? » Je pointe alors sa collègue qui m’a entendu et qui préfère visiblement ne pas se mêler de notre conversation. « Sérieusement, c’est quoi ces conneries ?! » Si j’étais irritée il y a peu, maintenant je suis en colère. Et malgré le fait que ce soit moi qui sois en tort ici, je n’arrive pas à y faire face.

Il l’a décidé. Comme ça. Sans m’en parler. Comme si ça ne me regardait pas. Pourtant, c’est moi la principale concernée. C’est moi qui suis punie pour rien en ce moment. Je ne sais pas trop ce que j’ai fait pour mériter ça. Je n’aime pas la situation dans laquelle je suis et je me sens angoisser, et paniquer. Jeremy a toujours été, depuis que je le connais, la personne en qui j’ai le plus confiance. Pourquoi soudainement est-ce qu’il me fait un coup pareil ? Je ne comprends juste pas ce qui se passe et quand je perds le contrôle, c’est plus fort que moi, je panique… et j’ai encore plus envie de boire. Et dans ma panique, je râle.

Jeremy me demande de me calmer, me disant qu’il ne veut pas me faire de mal. Seulement comprend-t-il seulement l’impact que sa décision stupide a sur moi en ce moment ? J’avais envie de me détendre en buvant un verre, ou plusieurs, en compagnie de la personne en qui j’ai le plus confiance. Parce que boire un verre ailleurs ne me dit plus rien depuis mon agression. Chez moi, c’est déprimant de boire toute seule. Ici, Jeremy est là pour veiller sur moi et apaiser mon âme. Sa décision est une trahison, tout simplement ! Mon meilleur ami m’a trahi. « Mon bien ?! T’es sérieux là ?! » J’ai l’impression qu’on me prend pour une conne. En même temps, je suis en train de faire une scène devant ses collègues alors qu’il est calme, devant moi, à essayer de me raisonner. Malheureusement, il n’y a rien à faire. Je suis loin d’être raisonnable ou rationnelle.

Il me lance cette bombe en pleine figure et j’accuse le coup avec la même expression que si venait de m’insulter. « J’ai pas de problème d’alcool ! Je m’en sors très bien ! » Je n’ai pas un problème d’alcool. J’aime juste me détendre en en buvant. Et vu que je suis stressée 24h sur 24 depuis quelques mois, j’en bois plus souvent. Ce n’est pas ma faute après tout ! J’ai de bonnes excuses pour ça. Et puis il voudrait que je fasse quoi ? Boire de l’eau ? Et puis quoi encore ?!

Je me lève de mon siège pour m’éloigner de lui qui a essayé de s’approcher. Dans mon regard, ça se voit que j’ai mal, que je me sens trahie, blessée par sa décision de me priver de quelque chose qui, comme il l’a deviné, m’est devenu vital. Si important même que j’en suis en train de perdre la relation la plus précieuse que j’aie. « J'ai vraiment, naïvement, cru que tu me trahirais jamais de cette façon. Sérieusement, c’est comme ça que tu me vois ?! Comme une alcoolique ? C’est ça que tu penses de moi ?! C’est sympa, très sympa. » En lui disant ça, je fais comme si c'est lui qui avait tort, mais au fond de moi, je sais qu’il a raison. Je ne suis seulement pas prête à l’admettre. Je tremble devant lui, à un bon mètre de distance entre moi et le comptoir. J’ai envie de partir comme une tempête, mais surtout pour aller me cacher de honte. Je fouille donc dans mon sac pour sortir mon porte-monnaie et en sortir un billet que je lance dans sa direction. « Tiens pour ton putain d'verre de jus ! » Je n'ai pas envie de lui parler sur ce ton, mais je perds complètement les pédales. Au fond, je le sais. Je sais que je suis en tort dans l'histoire, mais j'ai trop d'orgueil parfois... souvent... tout le temps. Du coup, après lui avoir lancé le billet, je me retourne pour partir. En frayant mon chemin dans la foule, j'arrive à entendre Jeremy m'appeler mais je suis trop butée pour me retourner et revenir vers lui. Non, à la place, je quitte comme une drama queen dans le but d'aller boire ailleurs si j'y suis. Voir ! Voir ailleurs si j'y suis...