Frangin, viens me chercher - Tyler & Mia

Je suis sortie ce soir avec quelques amis. Toujours hantée par mes cauchemars, ça m’a fait un grand bien de ne pas me retrouver seule ce soir à la maison, sachant que papa serait en train de travailler, en vidéoconférence avec la France. J’ai passé une excellente soirée. Nous avons bu, raisonnablement, discutés, joué au billard, ça m’a fait le plus grand bien. Mais une fois que nous nous sommes tous quittés devant le bar, je n’ai pas pu partir. Il a commencé à soudainement faire froid et j’ai eu l’impression d’être observée, surveillée, et je doute que ce soit par Trevor. Trevor n’est pas de service ce soir, et je ne lui ai pas dit que je sortais. De toute façon, quand Trevor rôde autour pour veiller sur moi, je me sens totalement en sécurité. Pas comme maintenant.

Ma main dans ma poche frôle mon téléphone. Je le serre dans celle-ci avant d’inspirer profondément pour rester calme. Je vais appeler Tyler. Si ça se trouve, il est en train de jouer devant son ordinateur. Je compose donc son numéro et sourit en entendant sa voix au bout du combiné. « Salut petit frère. Je te dérange ? » J’attends sa réponse avant de poursuivre. « Je suis devant un bar dans Brooklyn. Mes amis viennent de partir… Et je suis seule… Et parano. » Dans ma voix, il peut m’entendre sourire, mais en vrai, j’ai peur. « Tu crois que tu pourrais te déplacer pour venir chercher ta froussarde de grande sœur ? J’ai l’impression qu’on m’observe. Je n’ai pas envie de rentrer seule. » Je tourne la tête et voit deux garçons en train de me regarder. Je roule les yeux. « Et je suis un morceau de viande entouré de mecs à la chasse, apparemment. » Mon téléphone s’éloigne de mon visage. « Ça va, vous vous rincez l’œil ? »

Par le passé, parler de cette façon m’a attiré des ennuis. Ma nervosité que je ressens alors est un réflexe, mais un mauvais. Il vaudrait mieux que je rentre et que je m’assois au bar, question d’être vue par des employés. « Je n’ai pas envie de demander à Trevor. Il ne sait pas que je suis sortie, et je n’ai pas envie de me faire faire la morale. Et les chauffeurs de taxi ne sont pas plus rassurants. »

Finalement, je décide d’attendre dehors. Vu la réaction de Tyler, il arrivera sous peu et de toute façon, il reste avec moi au téléphone. Je reste donc sous les regards des deux mecs qui me dévorent des yeux. C’est dénigrant. Tyler se gare devant moi au moment où ils s’apprêtaient à m’aborder enfin, bien que je leur aie clairement fait comprendre que je ne voulais rien savoir. Je souris alors à mon frangin. Juste sa voiture a de quoi impressionner. Il me demande s’il me dépose quelque part, m’appelant mademoiselle. « Avec plaisir. » Je m’apprête à entrer quand la porte est verrouillée, il me demande alors le mot magique. Mon sourire disparaît alors. Je suis agacée. « Y a deux mecs qui me dévorent des yeux depuis tout à l’heure et c’est gênant. Laisse-moi entrer. » Sur mes mots, la voiture se déverrouille et j’ouvre la portière pour entrer enfin. Dans cette boîte de métal, et surtout à côté de mon frère, je me sens en sécurité.

Je jette un rapide regard sur les deux mecs qui, finalement, n’approchent pas, mais qui ne me lâche pas des yeux. Cette fois, ils ont l’air impressionnés. Je regarde Tyler qui me propose de boire à la maison. « Oui oui, si tu veux. Fais juste démarrer s’il te plaît. J’en ai marre des deux mecs là. » Ce n’est qu’une fois qu’on a démarré que je réalise que j’ai accepté qu’on continue de boire ensemble à la maison. « Attends, tu veux qu’on boive à la maison ? On a que l’alcool de papa. Ou du vin. On ne peut pas. » En vérité, je n’avais pas prévu de boire au point d’en finir ivre.

Mon petit frère remarque les deux hommes et décide d’attirer encore plus l’attention en faisant gronder le moteur. Je roule les yeux, n’étant pourtant pas capable de refouler le petit sourire en coin qui apparaît sur mes lèvres. Les hommes… Mais ce sourire disparaît quand il fait son demi-tour violemment. J’échappe un petit cri de surprise, m’accrochant à la voiture. Mon cœur palpitant, je boucle ma ceinture rapidement et soupire quand il s’excuse. « Ne fais plus jamais ça. » Bref, je lui signale que nous n’avons pas d’alcool autre que le vin à la maison, ou l’alcool de papa que nous ne touchons pas. Cet alcool sert surtout pour ses invités à lui, ses invités importants, majoritairement pour le travail, bien qu’il préfère sortir au restaurant. Tyler me répond alors que je le déçois, me faisant passer pour une idiote.

Je n’aime pas ce sentiment. J’ai travaillé très fort pour me faire croire que je n’en suis pas une, alors me le faire rappeler par mon petit frère me blesse tout de même un peu. Je sais pourtant qu’il blague. Il se retient pour rire, mais moi ça ne me fait pas rire. Je baisse les yeux, puis regarde dehors les immeubles défiler. Il reprend qu’on peut finir la soirée au jus de fruit, et alors je repose les yeux sur lui, sortant mon faux sourire pour prétendre que ça va, mais qui paraît totalement faux. « Arrêtons à la supérette si tu veux. Et on pourra se commander des pizzas aussi. C’est moi qui offre, pour te remercier d’être venu me chercher. » C’est ridicule. Je ne voulais pas boire davantage au départ, mais maintenant, j’aimerais mieux boire pour oublier que je suis une idiote. Et pourtant, je sais que c’est exactement ce comportement qui est idiot.

Il se gare et coupe le moteur. Je regarde autour en constatant que nous ne sommes pas arrivés. Non, il fait bien trop sombre pour que nous soyons dans Manhattan. Je regarde alors Tyler qui me dit que mon sourire est faux. Je baisse alors les yeux pendant qu’il refuse les pizzas. Il fini par prendre ma main et je le regarde. Il me dit que je peux tout lui dire et je fais une moue qui camoufle un léger sourire. Il est mignon à s’inquiéter pour moi de cette façon. Il a beau être un petit farceur, il n’y a rien de plus important au monde pour lui que papa et moi, et depuis mon drame avec Liam, il est d’autant plus protecteur avec moi. « Ce n’est rien. C’est bête. » Je sais pourtant que ça ne l’est pas, et je ne veux pas qu’il se sente mal.

Je relève les yeux pour regarder devant, dehors. « C’est stupide. C’est seulement la façon dont tu me parlais. Je me suis sentie idiote, alors qu’en fait j’ai bien compris le ton de la farce. C’est… Juste un travail que je dois faire sur moi-même. » Je le regarde et rectifie le tir. « Attention, je ne t’en veux pas, ou rien. C’est moi. Le problème se passe dans ma tête. Liam… Tu sais les dommages qu’il a fait. Je dois juste me parler, me rappeler que je ne suis pas une idiote. Ça ira. Ne t’en fais pas. » Je souris légèrement, plus sincèrement mais tristement tout de même, et serre sa main. « Allez, redémarre. Allons acheter ce que tu veux comme nourriture. C’est moi qui offre. Et passe à la supérette. J’ai envie d’un verre ou deux maintenant. » Il y a cette souffrance silencieuse qui m'habite, qui m'empoigne le coeur, mais je n'en laisse rien paraître. Je ne veux pas qu'il se blâme, ou quoi que ce soit. C'est la faute de Liam après tout.

Tyler me prend contre lui et me dit que je suis bête de penser une telle chose. Je sais qu’il veut bien faire, mais c’est le mot que je n’avais pas besoin d’entendre. Néanmoins, je ne dis rien. Je me doute qu’il comprend, et ce qu’il me dit me fait du bien, mais croire complètement que je ne suis pas stupide, c’est ça qui est difficile. En effet, mon travail demande un certain niveau, mais je suis la fille de mon père, et là où j’en suis, mon travail est rendu instinctif. J’agis par réflexe plus que par réflexion, parce que je connais mon travail par cœur. Si j’essayais de faire le travail de Tyler, je n’y arriverais sans doute pas. Je ne suis donc pas plus intelligente que quelqu’un d’autre.

Il m’embrasse la tempe et je pose ma tête sur son épaule. Aussitôt que j’entend le nom de Liam, je perds le peu de sourire que j’avais et ferme les yeux. Je ne peux pas rechuter. Je ne veux pas. Je n’ai pas le temps de recommencer à voir un psy. Il y a bien trop peu d’heures dans une journée pour que j’en perde trois à chaque semaine pour discuter avec quelqu’un que je vais payer pour m’écouter. Je sais les bienfaits, mais je préfère éviter, rester sur la bonne voie. Ainsi, j’inspire profondément pendant que Tyler me dit que je suis plus brillante que lui et papa combiné. Je me redresse, arquant un sourcil. Ma cicatrice est presque invisible, cachée par mon maquillage, mais elle paraît tout de même un peu. « Tu exagères. » Je pose un baiser sur sa joue tout de même. « Merci. Mais ne parlons plus de lui. Ça ne ferait qu’empirer les choses. » Et alors il me dit qu’il a envie de crevettes, à cause de Derek qui a parlé d’homard. Je souris alors amusée. On lui dit une chose, et son cerveau va ailleurs. C’est tout lui. « Bien, va pour les crevettes. Mais je n’ai pas envie de cuisiner à cette heure, d'autant plus que j'ai déjà quelques verres dans le corps, alors on va chercher du déjà fait. Pour le homard, on passera. On dira à Derek de nous inviter si c’est lui qui le cuisine. Moi, il est hors de question que je j’assassine une pauvre bestiole moi-même en l’ébouillantant. » Je grimace alors en frissonnant. Je ne suis pas végétarienne, ou végétalienne. J’aime la viande, mais je préfère ne pas savoir comment elle s’est retrouvée là.

Je hoche la tête. En effet, je sais pertinemment qu’il dit toujours ce qu’il pense. Oh, je sais qu’il me cache quelque chose, mais en général, il est honnête. Il ne ment pas. Et il n’a pas de filtre. Un peu comme un enfant qui ne fait pas encore la différence entre ce qu’il faut et ne faut pas dire. À cette pensée, mon regard se fait attendrit alors qu’il me dit qu’il préfère faire du codage plutôt que de gérer mon boulot. J’ai ce regard que j’affiche généralement quand je le trouve mignon, ce regard de grande sœur qui lui pincerait bien les joues. Mais je m’abstiens.

Il approuve mon idée de laisser Derek nous inviter. J’aime bien Derek. C’est un bon gars, sur qui papa et moi pouvons compter pour veiller sur Tyler pendant que nous avons le dos tourné. Nous nous remettons alors en route pour aller à la supérette. Il vient m’ouvrir la portière pendant que je me détache et je prends sa main pour sortir. Oui, parce que sa voiture est basse, et je suis en talon. J’apprécie donc l’aide. Il prend ensuite sa veste qu’il met sur mes épaules et je lui souris. « Merci. » Il fait un peu frisquet ce soir, en effet. Je passe mon bras sous le sien, préférant rester tout près de mon petit frère protecteur, et nous allons ainsi à la supérette en premier. « Oui, il faudrait que j’y aille aussi. Je n’ai pas eu beaucoup de temps cette semaine avec le travail. » Parce que les soirs où je sors sont rares. Je préfère travailler, être productive, et vu mon poste, j’ai toujours beaucoup de travail. Je pourrais ne jamais m’arrêter pour manger et dormir que je n’arrêterais jamais d’avoir du travail. « Si tu veux, on y va ensemble après le bureau ? » Nous entrons alors et marchons dans les allées. Je trouve alors des boissons alcoolisées fruitées, un truc simple. J’opte donc pour ça. Si jamais je n’aime pas, je pourrai toujours les refiler à Tyler qui s’en débarrassera pour moi. Ou même à Rose. Je prends d’autres choses à grignoter. Les crevettes c’est bien, mais j’aimerais bien quelque chose d’un peu plus salé. « Tu veux quoi comme chips ? »

Tyler m’amuse en se cachant ainsi les joues. Je n’ai pas l’habitude de les lui pincer, sauf quand je veux imiter notre grand-mère. Et il n’était pas question de ça cette fois. Bref, nous entrons dans la supérette et commençons à faire nos achats. Je lui propose que nous fassions nos courses ensemble le lendemain, et il m’impose la condition que je ne critique pas ses achats. Je roule alors les yeux, sourire aux lèvres. « Oh, tu me connais. Je critiquerai toujours tes choix. Mais ce n’est pas ça qui t’empêchera d’acheter. Je demanderai à Trevor de m’aider si tu tiens vraiment à me laisser me débrouiller. Lui au moins il est sympa. » Évidemment que Tyler l’est aussi, mais quitte à ce qu’il m’embête, autant l’embêter aussi.

Je regarde ce que Tyler met dans le paniquer. Des sodas, bien. L’alcool est mauvais pour lui de toute façon, à cause de sa médication. Je souris, comme si mes tourments étaient déjà loin derrière. C’est qu’avec mon petit frère, on oublie facilement les problèmes. Il me demande ce qu’on prend pour papa, et je pointe alors les aliments réfrigérés. Quand nous nous y rendons, je prends un paquet de sushis et le montre à Tyler. « Ça devrait le faire ça. » Je mets le paquet dans le panier. Notre père, en même temps, est un homme en santé. Il se fait vieux, mais vu le rythme de vie qu’il a, il est fait fort, il n’y a pas à dire.

Nous nous rendons donc à la caisse et je paie le tout avant de sortir. Les sacs sont alors placés dans la voiture. « Ça t’embête si je te laisse aller à la poissonnerie tout seul ? Mon petit cœur est trop sensible pour regarder ces pauvres bêtes. » Je pointe la vitrine dans laquelle il y a des poissons, évidemment morts, mais encore tout frais et bien complets. Ces petits yeux vides de vie me fendent le cœur.

Incapable de regarder ces pauvres poissons morts en face, je propose à Tyler d’y aller sans moi. Lui qui voulait payer à la supérette, il pourra se rattraper. Il accepte sans problème et m’aide à m’asseoir dans la voiture. Je me demande s’il est aussi galant avec les autres, hommes et femmes. En tout ça, ça paraît bien. Il me donne les clés pour que je puisse mettre le chauffage, me disant de rester au chaud et de ne pas toucher à sa radio. « Oh, juste parce que tu m’as dit ça, je vais le faire. » J’affiche un petit air taquin, et le laisse partir à la poissonnerie après qu’il m’a embrassé sur le front. Maintenant seule, je regarde dehors et n’aime pas comment l’homme, de l’autre côté de la rue, regarde dans ma direction. Enfin, je crois qu’il regarde surtout la voiture. C’est visiblement le genre de voiture qu’il ne pourrait pas se permettre. Je verrouille donc les porte et détourne les yeux, et il part. Heureusement que nous sommes encore dans Brooklyn. Je n’ose pas imaginer ce que ce soir aurait été si j’avais été dans le Queens, ou le Bronx.

Quand je voix Tyler sortir du commerce, je déverrouille les portes et le laisse ranger ses achats, le regardant reprendre sa place dans la voiture. Évidemment, la musique ne joue pas. J’ai préféré être alerte des sons environnants. Ainsi, je regarde mon petit frère qui dit qu’il a acheté du saumon et je hoche la tête. Après, je souris et la secoue. « Non, on peut rentrer. J’ai hâte de retirer mes talons hauts et défaire mes cheveux. » On m’a dit maintes et maintes fois que mes cheveux détachés étaient magnifiques, mais après les avoir eus en chignon toute la journée, je doute que j’ai envie de montrer ma crinière à tout le monde. La honte que ce sera quand j’entrerai dans la tour et passerai devant la sécurité et la réception. Non, je tiens tout de même à mon image. « Oh, je vais dire à papa qu’on lui a acheté à manger et ne pas s’en acheter en rentrant. » Sur ces mots, je sors donc mon téléphone portable et lui écrit pour lui dire que de la nourriture l’attend déjà à la maison. « Voilà. »

Tyler installé, j’attache ma ceinture et nous démarrons enfin. Il me propose ses baskets et je secoue la tête, souriant malgré tout. « C’est gentil, mais assise, ça va. Je vais endurer. Je l’ai fait toute la journée après tout. » Je me penche alors vers lui et pose ma tête sur son épaule, à défaut de pouvoir le serrer dans mes bras pour le remercier. Je me redresse quand j’écris à papa pour lui dire que nous avons de la nourriture pour lui et Tyler me dit qu’il espère qu’il n’en aura plus pour très longtemps. Je regarde donc ma montre, un de nos produits d’ailleurs. « Vu l’heure, il aura sans doute terminé. Ça dépendra des gens avec qui il discutait. Il me semble que l’un d’eux est très bavard. Au pire, si on voit qu’il traîne, on l’appellera pour lui sauver la vie. J’ai l’habitude. Je le fais souvent. » Je souris, légèrement amusée en repensant au nombre de fois où j’ai dû venir lui donner un papier vide dans son bureau, faisant croire que c’est un message important, juste pour qu’il puisse se libérer.

Il me demande alors comment s’est passé ma soirée alcoolisée. Je hausse donc les épaules. Je sais que papa et lui voudraient que je recommence à sortir plus souvent, que je profite un peu, mais très honnêtement, je préfère travailler. Au travail, je suis une femme plus forte, une femme de tête. Je ne suis pas totalement la même que dehors. Au bureau, je suis Miss Mitchell. Mia, elle, en dehors du bureau, elle est faible, et trouillarde. La preuve, j’ai dû appeler mon frère à l’aide parce que je me sentais observée. Oh, il a attiré l’attention encore plus avec sa bagnole, mais au moins, je ne suis plus seule. C’est toujours un soulagement quand je suis entourée de ma famille. Il me dit alors qu’on devrait sortir et je souris, hochant la tête. « Oh tu sais… Les boîtes de nuit, ça fait tellement longtemps que je n’y suis pas allée. Je ne sais plus ce que c’est maintenant. La dernière fois remonte… à avant mes fiançailles. » Mon sourire disparaît. Liam ne supportait pas que je puisse sortir et prendre le risque de me faire regarder par d’autres.

« On pourra essayer au pire. Sinon, le parc d’attraction, ça me tente beaucoup ! Ça fait tellement longtemps ça aussi. » Les sensations fortes, j’adorais avant. Maintenant, je ne sais plus. Il faut dire que j’ai cherché le calme après avoir passé aussi près de la mort. « J’en parlerai à Rose tiens. »

Mon petit frère met traite de masochiste et je jette un regard sur lui, un sourcil arqué, l’air de lui dire de se taire. Il se reprend en disant que toutes les femmes le sont à porter ce genre de chaussures. Il admet même en avoir déjà mis pour un défi, une fois, et alors je souris, amusée, en l’imaginant essayer de rester debout sur un talon aiguille. Après, porter des talons aiguilles, ce n’est pas donné à toutes les femmes, et ce n’est pas non plus quelque chose de naturel. Ça prend de la pratique. J’ai bien d’autres paires de chaussures, mais la majorité sont des talons. Au moins, je ne porte pas de talons trois pouces au travail. Ceux-là sont les pires.

Je dis à Tyler que je pourrai toujours sauver papa comme à mon habitude, sachant que s’il ne rentre pas bientôt c’est parce que son rendez-vous discute avec lui de tout et de rien, pour le plaisir. Tyler me confit que ça ne le surprend pas que je le fasse souvent, et qu’il ne le fait pas à cause de son manque de tact. Je rigole un peu quand il mentionne que c’était ce qu’il y avait de plus difficile quand il me remplaçait. « Oui, je sais. Papa m’en parlait. C’est bien l’une des rares choses qui m’amusait à l’époque. »

Notre conversation dérive sur ce qu’on pourrait faire comme sorties et plusieurs idées sont sorties du lot. Je ris quand il me dit qu’une femme a posé les mains sur lui pour le déshabiller. En même temps, je sais qu’il se passe des choses entre Derek et lui, et depuis longtemps. Je me doute donc que le fait qu’une femme a voulu le séduire, ça doit lui avoir déplu. Mais il ne sait pas que je sais, alors je ne dis rien. Nous parlons à la place d’un parc d’attraction et alors il mentionne Disney. En effet, ça fait des années que nous n’y sommes pas allés. La dernière fois, j’étais encore une adolescente. Il parle de la chambre dans le château, et je hoche la tête. « Oui, bien sûr. Mais en général, ce sont les couples qui se marient qui la loue. Ce serait dommage d’enlever ce privilège à un couple, non ? » Après, je n’ai pas personnellement de grand intérêt pour dormir dans le château. On dit peut-être que je suis la princesse de l’empire de mon père, mais je ne suis certainement pas une princesse de Disney. « De toute façon, s’il n’y a qu’une seule chambre, je doute qu’il y aura plusieurs lits. Autant prendre un hôtel. On pourra en plus profiter d’une piscine ou d’une plage si on veut un peu de calme. »

Je sors de la voiture toujours avec son aide quand on se gare devant l’immeuble. « Par contre, il faudra prévoir ça d’avance, question que je m’assure que je puisse vraiment partir pendant plusieurs jours. À voir aussi si papa veut nous accompagner, mais j’en doute. Quoi qu’il en soit, il faut prévoir notre absence. Même toi, tu vas devoir prendre de l’avance sur ton travail.

Des balles anti-stress… Autant que ça ? Je suis amusée d’entendre à quel point le boulot que je fais si facilement et sans encombre a été un supplice pour lui. En même temps, je suis bien la fille de mon père. Je suis née pour marcher dans ses pas. J’arrive bien à le remplacer quand il s’absente, après tout. Il parle alors de la chambre sur le parc directement et comment il se bat la nuit avec Derek. « Oh, je sais comment tu dors oui. Tu n’es pas reposant la nuit. » Mine de rien, je sais qu’ils couchent ensemble lui et Derek, et il ne m’a toujours rien dit après toutes ces années. Je me demande s’il manque de confiance en moi d’ailleurs. Après tout, il a toujours eu du mal avec les femmes. Mais alors pourquoi n’en aurait-il pas parlé à papa ? Je le sais, parce que ce dernier se demande bien quand notre petit Tyler va enfin se caser avec quelqu’un.

« Va pour le plus proche. Vous aurez votre chambre à toi et Derek. Tu parles trop, je n’ai pas envie d’être réveillée dans la nuit. » La vérité, c’est surtout parce que j’ai envie de leur donner un peu d’intimité. Derek est formidable avec mon petit frère et si je dois imaginer ce dernier avec quelqu’un, c’est bien avec lui. Ils iraient bien ensemble.

Je lui dis alors qu’il faudra qu’on prévoie tout avant notre départ, y comprit lui, et il le prend comme si je lui reprochais d’être en retard. Je roule les yeux. « Je disais ça comme ça. Continue comme tu fais en ce moment et on n’aura pas de problème. » Je sors de la voiture avec son aide et hoche la tête à ce qu’il me dit. « Oui, enfin, lui aussi peut se faire remplacer non ? Si on s’y prend d’avance on devrait s’en sortir facilement. Ce n’est pas comme si Rose pouvait s’absenter quand elle veut non plus. Les pauvres animaux qu’elle laisserait derrière… »

La portière fermée, j’entre avec Tyler à l’intérieur et nous sommes salués par l’hôte de l’immeuble. « Bonsoir Scott. » Je lui offre un sourire et il hoche la tête, souriant aussi comme si je venais d’illuminer sa journée. Nous entrons alors dans l’ascenseur. Je ne dis pas un mot. Heureusement que je ne suis pas avec papa, car il me dirait pour la énième fois que Scott a le béguin pour moi. Rien que cette pensée me fait rouler les yeux.

Ça devient gênant en fait. Je n’ai pas d’intérêt envers Scott et mon père le sait. Il semble bien gentil, mais je ne suis pas prête. Du moins, je ne pense pas l’être. Kevin aussi était gentil à nos débuts. Tout le monde l’aimait. Je n’ai pas envie de revivre un enfer. Je préfère ne pas rencontrer d’hommes pour le moment. Mais évidemment, Tyler doit s’y mettre aussi, ce petit chenapan. Il me dit que c’était mignon comment Scott me regardant, et je roule à nouveau les yeux. « Tu es bien le fils de papa toi… » J’appuie sur le bouton de notre étage en secouant la tête et nous commençons à monter. « Si tu continues de m’embêter, je prendrai une autre sabbatique en recommandant que tu prennes ma place. Ce sera suffisant pour me venger. »

Je souris en coin. Avec tout ce qu’il m’a dit, je me doute qu’il n’a pas envie de vivre cet enfer à nouveau. La vérité, c’est que c’est à moi que je nuirais si je prenais une autre sabbatique. J’ai besoin de travailler. J’aime mieux la femme que je suis quand je suis au boulot, la femme forte et inébranlable. Arrivés à notre étage, je quitte l’ascenseur, tenant un sac et laissant Tyler porter le reste. Nous entrons dans l’appartement et à peine avons-nous déposé le tout sur le plan de travail que la porte d’entrée s’ouvre. Je vais donc voir. « Papa ? » Il nous salue, m’embrasse sur le front, et je l’invite à la cuisine pour qu’on mange. La soirée s’annonce paisible, juste mon frère et mon père avec moi. Il n’y a jamais mieux comme soirée que celles que je passe en leur compagnie.